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SOLAG - Le petit cycle de l'eau

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Un allié pour atténuer l’impact du changement climatique : le petit cycle de l'eau !

A l’échelle planétaire, les modifications du climat induisent une modification du "grand cycle de l’eau" et in fine la disponibilité de la ressource en eau au niveau continental. Si ce grand cycle influe sur la répartition générale des précipitations : à une échelle locale, il apparait nécessaire de mieux considérer le « petit cycle de l’eau » pour développer des solutions d’adaptation aux changements climatiques et à la préservation de la ressource en eau douce.

Cette ressource en eau douce est répartie entre les eaux de surface (cours d’eau, lacs) et les nappes d’eau souterraines. En France métropolitaine, cela concerne :

  • 503 milliards de m3  apportés par la pluie et la neige ;
  • 11 milliards de m3 en provenance des pays voisins ; 
  • l'évaporation de 314 milliards de m³ (60 %).

Cette ressource est annuellement renouvelée à hauteur de 200 milliards de m3, via les précipitations et les rivières en provenance des territoires voisins (moyenne 1990-2019). 

Source : Eau France


La disponibilité de la ressource en eau

A l’échelle du territoire métropolitain, le poids de l’agriculture, de l’industrie, de l’artificialisation des sols sur la recharge des ressources est difficilement quantifiable. La modification du climat et du "grand cycle de l’eau" sont liées à une multitude de facteurs et nos connaissances reposent sur des modélisations. Néanmoins, l’évolution de l’agriculture sur la planète, en modifiant les paysages par la diminution des surfaces forestières et herbagères, par l’utilisation d’engrais et d’intrants de synthèse et l’utilisation d’énergies fossiles participent aux modifications du climat et aussi à la modification du cycle de l’eau.

L’impact du réchauffement climatique est désormais perceptible sur la disponibilité de la ressource en eau douce. De nombreux travaux de recherches ont mis en évidence que le réchauffement généralisé se traduit par un assèchement moyen des sols mais aussi par l’accroissement des épisodes de sols extrêmement secs, et notamment au printemps et en été. Ces travaux mettent en lumière des secteurs géographiques particulièrement affectés par l’assèchement des sols depuis les années 1950, comme le sud-ouest et le nord-est de la France. Cet assèchement est lié à l’action combinée du changement de régime des précipitations (fréquence et intensité) et de l’élévation des températures. Les agrosystèmes font donc face à une réduction de la disponibilité de la ressource en eau douce. On constate que le volume de cette ressource tend à diminuer et amène à des restrictions d’usage de plus en plus importantes et fréquentes sur l’ensemble du territoire. 

Ainsi, l’évolution de l’agriculture doit tenir compte de la raréfaction de la ressource en eau mais aussi proposer des solutions pour atténuer les modifications futures du climat : il s’agit de bien identifier ces leviers et avant tout de comprendre le petit cycle de l’eau.

Source : Données et études statistiques - Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires


Petit cycle de l’eau : le principe

Nous connaissons le grand cycle de l’eau qui décrit la circulation de l’eau sur la planète sous différentes états - nuages, pluies, rivières et océans et les étapes de ce cycle : l’évaporation des mers vers l’atmosphère, la condensation dans l’atmosphère, les précipitations sur la terre, puis la stagnation dans les réservoirs naturels. Nous sommes moins familiarisés à ce que les hydrologues appellent "Le Petit cycle de l’eau", "Cycle continental" ou "Cycle local" et qui décrivent le cycle de l’eau à l’échelle d’une région ou d’un bassin versant. Ces petits cycles sont inclus à l’intérieur du grand cycle. 

Dans le petit cycle, l’eau ultérieurement évaporée retombe localement sous forme de pluie, s’infiltre dans les sols pour alimenter les végétaux et les nappes avant de s’évaporer à nouveau, de se condenser pour former à nouveau des nuages.

Le fonctionnement de ce petit cycle repose sur un équilibre vertueux entre l’eau contenue dans l’atmosphère et celle contenue dans les sols. Cet équilibre assure le rôle clef de thermorégulation et contrôle le climat local. On peut concevoir ce petit cycle tel un ensemble de circuits fermés au sein duquel l’eau évaporée des sols retombera à faible distance sous forme de précipitations.

Dans le petit cycle de l’eau, la circulation de l’eau inclut un transfert horizontal, mais se différencie du grand cycle par un fort transfert vertical. L’évaporation des zones adjacentes génère un différentiel de températures qui concoure mutuellement à la création et au développement de la couverture nuageuse. 

Le terme "petit cycle de l’eau" peut donner l’impression que la contribution de ce cycle est négligeable. Pourtant, il apparait que la quantité de précipitation continentale annuelle moyennes (720 mm) est issues des apports océaniques à hauteur de 310 mm (grand cycle de l’eau) et des apports par l’évaporation des continents à hauteur de 410 mm (petit cycle de l’eau). En effet, si le volume des précipitations locales contribue à la saturation en eau du sol, 50 à 65 % de ce volume contribue à la création répétée de précipitations sur le continent. En d’autres termes : pour maintenir un régime de précipitations stable sur les continents, il est important d’assurer l’évaporation adéquate et continue de ces mêmes terres. 

Si on exclut la recharge des nappes souterraines, la part de l’évaporation et de l’évapotranspiration des eaux de pluie des terres est liée à la différence entre les précipitations totales et le ruissellement. Dès lors que nous favorisons le phénomène de ruissellement au sein d’un territoire, ce phénomène de perte d’eau se fera au détriment de l’évaporation locale et provoquera une diminution en cascade du régime des précipitations : le volume d’eau admissible au petit cycle de l’eau sur un territoire va progressivement diminuer. En limitant le ruissellement, le volume d’eau candidat à l’évaporation et aux précipitations augmente tel que l’on "sème" et on "cultive" réellement la pluie. (Kravčík et al. 2007).


Comment faire pleuvoir localement ?

Concrètement, les diminutions du taux d’infiltration et d’évapotranspiration favorisées par les activités humaines, réduisent le rechargement de l’atmosphère en vapeur d’eau et participent au dérèglement du microclimat.

Le maintien de l’équilibre local du petit cycle de l’eau apparait primordiale pour atténuer les effets globaux du changement climatique actuel. A cet effet, l’évolution des pratiques agricoles doit considérer les leviers à actionner pour réguler les phénomènes d’évaporation et d’évapotranspiration. 

Importance de cultiver des nuages

La pluie et les nuages ont une fonction thermorégulatrice.

Le rayonnement solaire permet l’évaporation des eaux des mers, des lacs, des rivières, des zones humides, du sol et des plantes dans l’atmosphère. Cette évaporation est consommatrice de chaleur et permet ainsi de refroidir la surface de la Terre. L’eau évaporée se condense dans l’atmosphère au contact de l’air froid, libère ainsi de l’énergie et forme des nuages, du brouillard, des précipitations. La répétition de ce processus d’élimination de l’énergie thermique excédentaire ressemble à un ingénieux équipement de climatisation. 

Les nuages jouent également un rôle fondamental de l’équilibre énergétique de la Terre et notamment sur le "bilan radiatif", soit la quantité de rayonnement qui entre et sort de la Terre. Les nuages renvoient une partie du rayonnement solaire dans l’espace, ce qui a un effet net de refroidissement sur le système surface-atmosphère. De même, les nuages contribuent à contenir le rayonnement qui, autrement, serait émis vers l’espace, par le biais du "réchauffement des ondes longues", ce qui a un effet net de réchauffement sur le système climatique. L’effet réchauffant ou refroidissant des nuages dépend de leur altitude :

  • Les cirrus hauts et fins contribuent à réchauffer la surface de la Terre en laissant passer la lumière du soleil, mais en piégeant ensuite la chaleur émise par la surface.
  • Les nuages bas et épais de type cumulus contribuent à refroidir la surface en réfléchissant la lumière solaire entrante vers l’espace. L’altitude à laquelle se forment les nuages dépend largement de l’humidité relative du sol qui est elle-même liée à la couverture végétale des sols. Le diagramme ci-dessous schématise le lien entre l’humidité relative (HR) du sol et l’altitude des nuages.

Source : Interculturelles

En résumé, moins le sol est saturé d’eau, plus l’altitude à laquelle l’atmosphère est saturée d’eau augmente et moins les nuages exercent une action refroidissante. Il faut donc faire en sorte que le sol joue un rôle d’éponge et pour cela il faut qu’il soit bien structuré, avec une activité biologique intense et avec des couverts de végétaux. Dans ces conditions, le maintien de l’humidité du sol permet la fixation des nuages à basse altitude et contribue largement à rafraîchir les températures. On notera qu’avec une augmentation des températures globales de +1 °C, pour la même humidité relative du sol, les nuages se forment plus haut et il faut 7 % d’eau supplémentaire dans les sols pour maintenir les nuages à la plus basse altitude.

Source : GAEC de Montlahuc

Optimiser la couverture des sols

Par le biais de l'évaporation, l'eau consomme une grande partie de l'énergie solaire apportée, évitant des réchauffements préjudiciables aux développements biologiques. De fait, à peine 1 % de l'énergie solaire captée par la végétation est transformée en matière sèche par la photosynthèse. Le surplus d'énergie radiative, transformé en chaleur, est consommé par évaporation ou flux de chaleur latente (en moyenne les deux tiers pour une végétation en plein développement, mais les cinq sixièmes au niveau du globe, compte tenu de la part des océans). Le reste de l'énergie calorifique est cédé à l'atmosphère par convection sous forme de chaleur sensible (réchauffement de l'air). Le poids de ce phénomène d'évaporation sur les équilibres thermiques de la biosphère ainsi que la température de surface, peuvent être illustrés par la différence entre du sable mouillé par la marée (quelques degrés en dessous de la température de l'air) et le sable sec voisin (+10 à 30 °C par rapport à l'air).

Source : Science Direct

Diminuer la température du sol

La couverture végétale des sols permet de réguler la température du sol :

  • En favorisant l’infiltration et la rétention de l’eau via l’entretien du pool de matières organiques et la constitution d’une microporosité (effets directs et indirects liés à la stimulation de l’activité biologique)
  • En augmentant la dissipation de la chaleur par évapotranspiration en période chaude. La dissipation de la chaleur du rayonnement solaire se fait via l’évaporation de l’eau qui consomme cette énergie entrainant un refroidissement de l’environnement local.

Source : Opéra Connaissances

L’effet de refroidissement des plantes dû à la transpiration est visible sur la photographie ci-dessous. Le spectre infrarouge montre que les feuilles des plantes sont, grâce à la transpiration, visiblement plus froides que le sol environnant. La surface nue du sol est visiblement plus chaude que la surface des feuilles refroidies par la transpiration.

Source : GAEC de Montlahuc

Augmenter l’évapotranspiration

La raison première de la réduction de l'évaporation sur les continents par rapport aux océans est due aux systèmes biologiques qui se protègent des pertes d'eau et réduisent leur évapotranspiration (nécessité absolue, compte tenu du stock d'eau faible des végétations devant leur flux, hormis les forêts). Les couverts végétaux, par leur épiderme et leurs stomates (pores régulateurs), se protège contre trop de transpiration : c'est la résistance stomatique. Cette résistance est minimale quand le potentiel en eau est nul dans la plante, conduisant à une évaporation maximale, bien que plus faible que la demande climatique et est maximale avec le manque d'eau, jusqu'à réduire l'évaporation à zéro.

La seconde raison de cette réduction de l'évaporation est due au sol nu sans couverture végétale. En effet, l'absence de couvert végétal, l'intensité du flux d'évaporation devant le flux de diffusion de l'eau des sols conduit à un dessèchement systématique et rapide de la surface des sols (quelques dizaines d'heures).

Source : Science Direct

Impact sur l’albedo 

L’albédo caractérise le pouvoir réfléchissant du rayonnement par les feuilles et les résistances à la diffusion du flux de vapeur d’eau : résistances aérodynamique et stomatique. Cette dernière joue un rôle majeur, car elle représente la capacité d’une espèce à limiter la perte en eau par transpiration en conditions de stress, notamment le stress hydrique. Cette capacité de régulation est très variable selon les espèces. L’albédo varie entre 0 et 1, et plus elle est proche de 1, plus la surface est réfléchissante. Ainsi, un albédo de 0,25 correspond à 25 % de rayonnement réfléchi. Les différences d’albédo expliquent une partie des différences de transpiration entre les grands types de végétations.

L’albédo des prairies et des cultures est souvent plus élevé que celui des forêts, surtout celles de résineux ; ces dernières absorbent ainsi plus d’énergie pour la transformer en flux de vapeur d’eau.

Source : AFPF Asso

Le sol joue un rôle majeur dans le cycle de l’eau, assurant le partage entre infiltration et ruissellement avec des conséquences sur la qualité et le temps de transfert de l’eau. Le sol régule les transferts d’eau entre l’atmosphère, le sous-sol et la surface, et constitue un réservoir pour les écosystèmes terrestres. Intégrer l’état hydrique et les propriétés physiques des sols est important dans les modèles de gestion de l’eau et de prévision des phénomènes de sécheresse et d’inondation. 


Et l’Agriculture de conservation des sols dans tout ça ?

Retour du projet "Bag’ages"

Bag’ages, projet de recherche qui évalue les effets de l’agroécologie sur l’eau et les milieux aquatiques du bassin Adour-Garonne, vise à déterminer si les pratiques agroécologiques peuvent permettre de mieux gérer les flux d’eau et d’améliorer la qualité de l’eau, avec une rentabilité économique comparable, voire meilleure, à celle obtenue avec des pratiques conventionnelles.

Après 5 ans d’expérimentations (au champ et en laboratoire), d’enquêtes et de modélisations, il s’avère que les pratiques agroécologiques (allongement des rotations, utilisation des Cultures Intermédiaires Multi Services, simplification du travail du sol et agroforesterie.) permettent :

  • une meilleure rétention de l’eau dans les sols,
  • des capacités d’infiltration de l’eau dans les sols plus accrues mais aussi plus stables dans le temps que dans les systèmes labourés,
  • une augmentation de la transpiration par la plus longue présence de plantes vivantes sur le sol.

Sur certains systèmes agroécologiques, la combinaison couverture végétale maximale et diversifiée des sols + arrêt du travail du sol a permis d’accroitre les capacités de rétention (réservoir utilisable) de l’ordre de 10 à 15 %, comparativement à des sols régulièrement travaillés par un labour. Ce meilleur stockage de l’eau dans les sols permet plus de disponibilité en eau pour les plantes en période de sécheresse, les sols restituant mieux l’eau sur la durée. Il est par ailleurs clairement identifié, sur l’ensemble des sols étudiés, que les capacités d’infiltration de l’eau dans les sols sont accrues dans les systèmes agroécologiques mais aussi plus stables dans le temps que dans les systèmes labourés. Dans ces derniers, les capacités d’infiltration peuvent être assez élevées immédiatement après l’opération de labour mais s’effondrent rapidement limitant ainsi fortement les capacités du sol à infiltrer l’eau, notamment en cas de pluies intenses, et favorisant alors le ruissellement vers les rivières, et l’érosion associée. En systèmes agroécologiques, la plus longue présence de plantes vivantes sur le sol conduit à une augmentation de la transpiration. Celle-ci peut réduire le drainage de 15 à 60 mm/an, selon la biomasse des couverts présents et leur date de destruction. Pour autant, 3 années sur 4, ces phénomènes n’ont pas d’incidence sur la culture suivante, les pluies printanières rechargeant la réserve utile des sols. Au bilan, compte-tenu de la très nette amélioration des capacités d’infiltration dans ces systèmes et de leur stabilité temporelle, il est probable qu’une plus grande quantité d’eau traverse les sols pour réalimenter les nappes comparativement aux sols régulièrement travaillés sur lesquels une forte part de l’eau circule en surface ou horizontalement, assez rapidement, vers les rivières.

Pour en savoir plus : 

Présentation du projet BAG'AGES

Colloque final 2021 du projet BAG’AGES

SOLAG - Augmenter l'efficience de l'eau par la couverture du sol (décembre 2022)

Atouts de l'agriculture de conservation des sols

La couverture végétale bénéficie au stock d’eau dans les sols : il a été démontré que la "réserve utile" de ces sols augmentait de 8 à 15 % par rapport à un sol nu travaillé. L’eau s’y infiltre mieux, bien que les sols non travaillés soient plus denses, les pores sont davantage connectés (présence de galeries de vers de terre et de réseaux de racines) et peuvent aller en profondeur : le sol est continu et verticalisé et non organisé par horizons comme en sols travaillés. La rétention de l’eau dans les sols est aussi favorisée par les couverts d’intercultures, car même s’ils consomment de l’eau, ils apportent au sol, une fois détruits, de la matière organique qui améliore le stockage de l’eau. Ils limitent aussi les pertes d’eau liées au ruissellement et freinent ainsi l’érosion du sol qui en découle.

Source : INRAE


A retenir

Le cycle de l'eau des continents est certes dépendant de la position géographique mais est en forte interaction avec les paysages et l’occupation des sols. L'occupation et la gestion de ces territoires peuvent donc, soit limiter l'aridification en favorisant la rétroaction évaporation–pluie, ou faciliter la désertification de très vastes régions.

Même si c’est difficilement quantifiable, les aménagements de l'espace rural jouent fortement sur les apports nets, notamment à l'échelle du bassin versant. La localisation des zones forestières, de prairies et de zones de culture avec leur système de protection (haies, fossés, bandes enherbées, ripisylves et zones inondables) favorise la valorisation des eaux de pluies, en limitant l'érosion et la contamination des cours d'eau et des nappes ; cette approche répond à la meilleure adéquation climat–végétation du développement durable.

Source : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1631071304003116

Les activités agricoles se traduisent par une occupation du sol et des pratiques culturales qui influencent la disponibilité et la répartition de la ressource en eau. 

La mise en œuvre des principes de l’Agriculture de Conservation des Sols peut donc répondre aux enjeux climatiques : 

  • en permettant de retenir davantage d’eau dans les sols et en favorisant la disponibilité temporelle pour les plantes cultivées ou sauvages, 
  • en minimisant le ruissellement et l’érosion des sols, 
  • en rechargeant les nappes phréatiques, 
  • en rafraîchissant les températures en réhabilitant les cycles hydrologiques, 
  • en restaurant et maximisant les cycles de l’eau locaux.