Un sol fertile est un sol vivant, riche en vers de terre, champignons et bactéries et bien d’autres organismes vivants encore, qui contribuent au recyclage de la matière organique, libèrent des nutriments pour les végétaux, maintiennent une bonne porosité et stabilisent, structurent le sol en limitant l’érosion. Toutes ces fonctions sont indispensables pour une production végétale efficiente et durable. L’étape de diagnostic de l’état de fertilité du sol est souvent nécessaire pour savoir d’où on part et envisager des actions correctives.
Principe de la technique
Pourquoi une méthode au champ pour diagnostiquer la fertilité du sol ?
De nombreuses méthodes de diagnostic sont aujourd’hui disponibles afin de caractériser l’état de fertilité du sol. Certaines restent couteuses, manquent de référentiel ou demandent encore quelques années de recherche pour pouvoir être utilisées en routine.
L’objectif est de développer une activité biologique intense capable de remplir l’ensemble des fonctions nécessaires à la production végétale. Les outils permettant de dénombrer les organismes vivants du sol ne font pas toujours le lien entre la présence de ces individus et les fonctions qu’ils sont capables de remplir.
En attendant les avancées de la recherche sur ce point, l’important est d’avoir des organismes vivants nombreux et divers pour assurer une activité biologique intense et cela se traduit par avoir des conditions de milieu les plus favorables possibles aux organismes vivants. Autrement dit avant même de passer par une étape d’analyse en laboratoire, il est intéressant de passer par une étape de qualification du milieu au champ afin de diagnostiquer si le milieu est favorable à l’habitat (le gîte) et à l’activité des organismes du sol (le couvert).
Références techniques
De nombreux outils de mesure au champ sont aujourd’hui disponibles pour établir un premier état des lieux et envisager des actions correctives. Nous présenterons ici les outils qui nous semblent les plus accessibles en termes de mise en œuvre.
En fonction de l’objectif recherché, l’outil utilisé pourra être différent. Le tableau ci-dessous, loin d’être exhaustif, permettra d’orienter le choix de l’outil (en cliquant sur chaque outil vous accédez à leur descriptif) :
Qualifier le milieu : mes conditions de sols sont-elles favorables à la présence et l’activité des organismes vivants dans le sol ?
Le test bêche
Coût : € - Temps : 3
Principe : le test bêche permet de réaliser un diagnostic des horizons supérieurs (0-25 cm), d’évaluer l’état structural du sol et l'impact des itinéraires passés et ainsi d’orienter l’itinéraire technique à suivre notamment en termes de travail du sol.
Méthode : réalisation en conditions de sols humides mais ressuyés.
Période idéale : octobre à mars.
Prélèvement de 6 blocs de terre (20 x 20 x 25 cm) sur une zone homogène de la parcelle.
Matériel :
- 1 bêche,
- 1 bâche,
- 1 couteau,
- fiche terrain.
Références : différentes méthodes de notation existent, donnant des préconisations identiques avec une note allant de 1 (sol bien structuré) à 5 (sol compacté) :
Avantage : une bêche et c'est parti !
Inconvénient : n'évalue la structure que de l'horizon supérieur.
Le pénétromètre
Coût : € - Temps : 1
Principe : le pénétromètre permet de déterminer la résistance relative à la pénétration d’un sol. Son utilisation permet, via la force utilisée pour l’enfoncer, d’évaluer les zones et la profondeur d’éventuels tassements au niveau du sol.
Méthode : réalisation en conditions de sols humides mais ressuyés.
Période idéale : octobre à mars.
Réalisation de 5 points de mesures à au moins 3 endroits de la parcelle
Matériel :
- 1 tige de pénétromètre,
- 1 fiche de notation.
Référence : guide tige pénétromètre Agrotransfert
Avantage : une simple tige de métal fera l'affaire !
Inconvénient : difficile en sol caillouteux.
Le profil 3D
Coût : € - Temps : 1
Principe : réalisation d’un profil à hauteur d’homme à l’aide de l’extraction d’un bloc de sol par l’utilisation d’un chargeur télescopique ou chargeur de tracteur muni de transpalette. Ce profil permet d’observer l’état structural du sol et le développement racinaire des plantes.
Méthode : réalisation en conditions de sols humides mais ressuyés.
Période idéale : octobre à mars.
Choisir une zone homogène et représentative de la parcelle, possibilité de réaliser plusieurs fois sur la même parcelle pour s’assurer de l’homogénéité de l’observation.
Matériel :
- 1 chargeur ou télescopique avec dents de transpalette,
- 1 couteau,
- 1 mètre.
Référence : guide profil 3D Agrotransfert
Avantage : observation du sol en profondeur.
Inconvénient : disposer de l'outil pour le faire.
Le test Beerkan
Coût : € - Temps : 3
Principe : mesure de la vitesse d’infiltration de l’eau dans le sol. Ce test donne une idée de la capacité du sol à laisser infiltrer l’eau et donc de sa bonne porosité ou non.
Méthode : réalisation en conditions de sols humides mais ressuyés.
Période idéale : octobre à mars.
Un volume déterminé d’eau est versé dans un cylindre enfoncé à la surface du sol. Le temps nécessaire à l’infiltration complète du volume d’eau versé est noté. L’opération est répétée jusqu’à ce que le temps d’infiltration se stabilise. Le test complet est à réaliser 6 fois sur la parcelle.
Matériel :
- bouteilles,
- cylindre PVC de 30 cm de diamètre et 15 cm de haut,
- masse et cale,
- voile plastique de 30 cm de diamètre,
- chronomètre,
- fiche de notation.
Avantage : possibilité d'incorporer du bleu de méthylène à l'eau pour ensuite observer les galeries de vers de terres connectées avec la surface.
Inconvénient : besoin d'eau et de matériel pour réaliser le test complet.
Le test à l'eau ou à l'alcool
Coût : € - Temps : 1
Principe : ce test permet de connaître le niveau de stabilité de la structure du sol et le rôle des micro-organismes dans cette stabilité en lien avec le type de sol. La colle microbienne structurant le sol est soluble dans l’eau et insoluble dans l’alcool.
Méthode : dans 2 récipients séparés, l’un avec de l’alcool, l’autre avec de l’eau, plonger simultanément une motte de sol :
- Si la structure résiste à l’eau et se délite avec l’alcool, cela correspond à un sol surtout structuré par le complexe organo-minéral. Ce qui peut se traduire par un besoin d’entretien avec des matières organiques précurseurs d’humus stables (compost...) qui vont complexer avec les argiles.
- À l’inverse, si la structure se délite avec l’eau mais résiste à l’alcool pur, c’est que le sol est surtout structuré par des colles organiques. Des apports de matières organiques rapidement assimilables (fumier peu composté, couverts végétaux) doivent être apporter régulièrement pour activer la vie microbienne et maintenir cette stabilité.
Matériel :
- récipients,
- eau,
- éthanol.
Avantage : test très visuel et rapide à réaliser.
Inconvénient : ne fonctionne pas sur les sols sableux.
Le test au permanganate de potassium
Coût : € - Temps : 1
Principe : ce test permet de mesurer la partie labile de carbone organique du sol. Le carbone labile constitue une matière facilement accessible par les organismes du sol.
Méthode : le carbone de la matière organique est oxydé par une solution de permanganate de potassium (KMnO4). Les matières organiques oxydées de cette façon sont les matières facilement minéralisables par l’activité biochimique du sol (carbone actif), celles dont le turn over est relativement rapide (de quelques mois à quelques années). La solution a une coloration violette, dont l’intensité dépend de la teneur en carbone. Plus la solution est claire et plus l’échantillon contient du carbone actif.
Matériel :
- agrégats de sol (séchés et fractionnés à la main puis tamisés à 2 mm),
- tamis avec mailles de 2 mm,
- permanganate de potassium KMnO4,
- eau déminéralisée,
- flacons,
- gants nitriles / lunettes de protection.
Avantage : méthode rapide et accessible.
Inconvénient : réactif utilisé très oxydant : demande une protection lors de l'utilisation.
Le test à l'acide chlorhydrique
Coût : € - Temps : 1
Principe : afin de détecter la présence de calcium dans le sol, l’acide chlorhydrique (27 %) est un moyen très simple. Il réagit avec le calcaire en dégageant du CO2. Cette réaction se matérialise par l’émission de petites bulles, plus ou moins nombreuses accompagnées d’un chuintement.
Méthode :
- prélever différents échantillons de sol, en surface et en profondeur,
- appliquer 1 goutte d’acide chlorhydrique dilué au 1/3 sur l’échantillon de sol,
- en présence de calcaire, l’acide réagit en produisant un crépitement et une effervescence.
Matériel :
- eau distillée (non calcaire),
- acide chlorhydrique ménager (20 à 23 d° Baumé soit 32 à 37 %),
- gants,
- un flacon résistant à l’acide avec bouchon gicleur.
Référence : test à l’acide chlorhydrique
Avantage : peu cher, visuel et facile à réaliser.
Inconvénient : manipuler avec précaution.
Pour qualifier le milieu d’autres tests existent mais demanderont un passage par le laboratoire : fractionnement de la MO, analyse de sol (Statut acido-basique, ETM)...
Dénombrer des organismes vivants : combien y-a-t-il d’organismes vivants dans mon sol ?
Le comptage de vers de terre
Coût : € - Temps : 3
Principe : dénombrer les vers de terre présents dans le sol et évaluer leur diversité.
Méthode : plusieurs méthodes existent : la méthode moutarde ou la méthode via le test bêche (TBVT) qui semble être plus simple sur le terrain. Réalisation en conditions de sols humides, ressuyés et hors gel.
Période idéale : octobre à mars.
Prélèvement de 6 blocs de terre (20 x 20 x 25 cm) sur une zone homogène de la parcelle.
Matériel :
- 1 bêche,
- 1 bâche,
- des boîtes,
- fiche terrain.
Références :
Avantage : peut être réalisé en même temps que le test bêche et peu coûteux.
Inconvénient : demande un peu de temps de réalisation et détermination des vers de terre peut apparaître complexe.
L’observation des vers de terre peut aussi se faire au travers d’autres méthodes mesurant leur activité
Observation des cabanes de vers de terre (protocole des paniers à vers de terre) et comptage des galeries (protocole SolAB).
Mesurer l'activité biologique : les organismes vivants dans mon sol sont-ils actifs ?
Le test du slip
Coût : € - Temps : 1
Principe : observer la dégradation de la matière organique. Le coton du slip est dégradé par les mêmes micro-organismes qui se nourrissent de la matière organique du sol, principalement les bactéries et les champignons. Le coton étant constitué à 95 % de cellulose, laquelle est très bien décomposée par les bactéries du sol, sa dégradation rend ainsi visible à l’œil nu l’activité de ces micro-organismes.
Méthode : se munir d’un slip en coton, bio de préférence, et l’enterrer à 10 cm de profondeur, en évitant les passages de tracteur et toute zone piétinée et le retirer 2 à 3 mois après.
Période idéale : novembre à mars.
Matériel :
- 1 bêche,
- 1 jalon (pour repérer),
- 1 slip blanc 100 % coton.
Références : vidéo test slip
Avantage : facile, ludique et très visuel.
Inconvénient : utiliser un cotion bio non traité.
Un autre test, facile et peu cher, permet de mesurer le taux de décomposition de la matière organique du sol par des activités microbiennes (microorganismes et microfaune) : la méthode des Tea-Bag.
Pour obtenir plus de précisions sur cette fonction du sol ou se comparer, il faut utiliser la méthode du LevabagMD qui mesure l’activité de décomposition de la matière organique d’un sol. Même si elle oblige à un passage en labo, elle pourra permettre une mesure plus fine et surtout de se positionner par rapport à un référentiel.
Le slake-test ou test de la stabilité structurale
Coût : € - Temps : 1
Principe : ce test permet de vérifier la stabilité structurale d’un sol, c’est-à-dire la sensibilité à la battance, à l’origine de ruissellement voire d’érosion. Toutes les mottes de terre soumises à l’action de l’eau ne résistent pas de la même façon. Leur résistance diffère en fonction de leurs matériaux constitutifs (argile, taux de MO…), de l’activité biologique (colle microbienne) et des pratiques sur la parcelle.
Méthode : on prélève 2 mottes de terre, l’une du champ cultivé avec une certaine pratique, l’autre du tour de champ (en herbe) ou chez un voisin avec une pratique différente. Faire sécher les mottes à l’air libre (à 20°C pendant 24-48 h). Placer les 2 mottes dans les passoires et plonger dans l’eau. Comparer la tenue des mottes et l’aspect de l’eau après 10 mn, 3 h, 1 jour.
Matériel :
- mottes de sol sèches,
- récipients transparents,
- petites grilles pour maintenir les mottes,
- un chronomètre pour mesurer le temps.
Références :
- Méthodologie
- Test stabilité structurale
- Test pour évaluer la stabilité structural
Avantage : test rapide et très visuel.
Inconvénient : utliser le même type de sol pour faire une comparaison : le taux d'argile et de MO sont aussi des facteurs qui comptent pour la stabilité structurale.
Pour mesurer l’activité biologique, d’autres indicateurs peuvent être utilisés mais demande un passage par un laboratoire : potentiel de minéralisation du carbone et de l’azote par exemple.
Expérimentations
De nombreux programmes de recherche récents ou encore en cours travaillent cette question d’évaluation de la fertilité du sol et notamment via une meilleure prise en compte de sa composante biologique, espérant également pouvoir évaluer ou conseiller des modifications de pratiques à partir de diagnostics.
Le projet AgrInnov : boîte à outils d’indicateurs
Le projet AgrInnov (CASDAR 2010-2015) est le premier programme de recherche collaborative associant chercheurs et agriculteurs à grande échelle sur la biodiversité des sols. Il avait pour objectif de construire une boite à outils d’indicateurs opérationnels permettant aux agriculteurs d'évaluer l'impact de leurs pratiques sur la biologie de leur sol. Dans ce projet, près de 250 parcelles (la moitié en grandes cultures et l’autre en vigne) ont été échantillonnées en 2013 et 2014.
Ce projet a permis d’aboutir à l’évaluation de la fertilité biologique et du patrimoine biologique des parcelles à partir de la synthèse des résultats de plusieurs indicateurs :
- les vers de terre,
- les microorganismes,
- les nématodes,
- les Levabags,
- les tests bêche,
- les analyses physico-chimiques.
L'ensemble des observations et prélèvements ont été réalisés sur le terrain directement par les agriculteurs participants au projet.
Ce schéma représente l’échantillonnage de 10 parcelles réalisées par des agriculteurs en Nord 49 sur un même secteur. On observe une variation importante : les résultats étant compris entre 120 et plus de 820 vers de terre au m². L’écart s’explique par des différences de pratiques puisque les parcelles sont sur un type de sol et des conditions de sol proches, cela a permis des échanges intéressants au sein du groupe.
Le projet AgrInnov a permis la validation et la mise en œuvre d’une boîte à outil d’indicateurs mais n’a pas pu faire de relation spécifique entre typologie de pratiques et résultats de biodindicateurs, le travail est à poursuivre sur un jeu de données plus large encore.
Le projet Microbioterre : utiliser des bio-indicateurs pour diagnostiquer l’état du sol et faire évoluer les pratiques
Le projet Microbioterre (2017-2020) vise à intégrer des analyses microbiologiques aux analyses de terre réalisées par des laboratoires. Il s’agit in fine d’élargir le diagnostic et le conseil sur la gestion des pratiques culturales. Il est piloté par ARVALIS en partenariat avec divers organismes et 4 prestataires (Celesta-lab, SEMSE, Université de Lorraine et RITTMO).
Le projet s'intéresse aux systèmes de grande culture et de polyculture élevages qu’ils soient conventionnels, conduits selon les principes de l’agriculture de conservation ou de l’agriculture biologique.
Le principal livrable du projet est un guide de diagnostic et conseil "Microbioterre" qui sera mis à disposition des conseillers agricoles et des agriculteurs et sera diffusé par les laboratoires d’analyses de terre partenaires du projet et à moyen terme par les laboratoires d’analyses de terre français adhérents du GEMAS. Ce guide a notamment comme objectif de faciliter le choix des indicateurs à mobiliser selon la fonction du sol que l’on cherche à évaluer.
Le projet ConSol : reconcevoir un système à partir d’un diagnostic de fertilité des sols
Le projet ConSol (2016-2021) vise évaluer la faisabilité de reconception de système à partir d’un diagnostic complet de la fertilité du sol intégrant sa composante biologique (utilisation de la boite à outil issue du projet AgrInnov).
Deux groupes de 10 polyculteurs et un groupe de 10 viticulteurs ont réalisé leurs analyses via la boite à outils AgrInnov. A partir de ce diagnostic, des ateliers de co-conception ont permis de repenser collectivement les systèmes et mettre en place un plan d’actions. En 2021, de nouvelles analyses ont été réalisées afin de mesurer l’impact des changements mis en œuvre, ainsi qu’une évaluation économique et sociale de ces modifications.
Globalement, les agriculteurs et viticulteurs ont très apprécié cette démarche et les échanges à partir de ce diagnostic et ils ont été nombreux à mettre en œuvre des changements de pratiques.
À retenir
L’observation au champ est une étape indispensable pour évaluer la fertilité du sol.
De nombreux outils existent et se développent encore pour aider au diagnostic, il suffit de faire le choix du bon outil en fonction de l’objectif recherché (tableau synthétique des outils existants).
Pour aller plus loin